Avec « Adults in the room », qu’il était venu présenter au festival Ram Dam de Tournai, en janvier 2020, le cinéaste braque les projecteurs sur ce qu’il considère clairement comme une variante moderne du totalitarisme, étouffé mais toujours aussi impitoyable.
Il y aborde, une fois de plus, un sujet de l’histoire récente de son pays natal – la crise de la dette Grecque en 2015 et les négociations houleuses qui ont opposé, pendant des mois, le gouvernement (“gauche” radicale) d’Alexis Tsipras, alors au pouvoir, à la Troïka européenne (la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International).
D’Athènes à Bruxelles, en passant par Paris, Londres et Francfort, Adults in the Room, présenté hors compétition au 76e Festival International du Film de Venise en 2019, nous plonge dans les coulisses d’importantes décisions européennes, sur les traces du combatif ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, magnifiquement incarné par le très talentueux Christos Loulis. Le film de Costa-Gavras est une adaptation du livre Adults in the Room: My Battle with Europe’s Deep Establishment par Varoufakis lui-même.
Le pitch, que nous avons vécu
Economiste sans expérience politique, Varoufakis – nommé à son poste par le premier ministre Tsipras (Alexandros Bourdoumis) à la suite de la victoire du parti Syriza aux urnes en janvier 2015 – souhaite obtenir des créanciers de son pays une restructuration de la dette et des projets de réformes durables, puisque l’austérité imposée au cours des cinq années précédentes n’a fait qu’aggraver la situation (la dette a augmenté de 6% à €473 millions tandis que le revenu intérieur a diminué de 26%).
Loin d’être naïf (il porte toujours sa lettre de démission en poche) et conscient que ses adversaires ne seront pas faciles à gérer, il espère néanmoins trouver un compromis et les convaincre.
Des conversations bilatérales aux réunions de l’Eurogroupe, association purement consultative mais qui décide, il se rendra compte que c’est un véritable mur auquel il est confronté ; un mur personnifié par son homologue allemand Wolfgang Schäuble (Ulrich Tukur), soutenu par le président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem (Daan Schuurmans) en première ligne.
Le combat d’un homme contre des puissants
C’est alors le duel d’un homme contre une institution et des personnages puissants (Christine Lagarde, Mario Draghi, Pierre Moscovici, etc.) où Varoufakis devra se battre pour modifier un seul mot dans un communiqué, subir la duplicité de certains face aux médias omniprésents, préparer un plan B secret en cas de sortie de l’euro, éviter la fermeture des banques grecques, naviguer dans les manœuvres du cercle restreint de Tsipras et savoir s’il peut encore compter sur ce dernier (lui-même jouant avec sa propre survie politique).
Il se rend compte que l’homme ne vaut pas grand-chose dans l’Europe d’aujourd’hui quand les impératifs financiers sont en jeu.
À partir d’un matériau qui aurait pu être particulièrement sec et dépourvu d’éléments visuels (chiffres, hommes en costume autour de grandes tables de réunion, etc.), Costa-Gavras crée avec brio un film captivant, instructif et souvent amusant, avec une terrible ironie traversant les nuances de cette nouvelle version de David contre Goliath (où ce dernier gagne).
La valse des milliards
Ce petit contraste agréable est renforcé par la musique sirtaki composée par l’oscarisé Alexandre Desplat et par quelques séquences surréalistes et dramatiquement fortes (Tsipras confronté par les autres dirigeants européens dans une sorte de danse macabre, des milliers de chiffres de la Banque Centrale Européenne s’échappant et flottant dans les airs, le face à face de Varoufakis et de ses amis dans un restaurant avec le peuple grec se tenant debout et manifestant en silence son impuissance et peut-être sa désapprobation et déception).
Le film est clairement engagé en faveur d’un côté de l’argument, et certains pourraient le considérer comme trop unilatéral, mais rien n’est moins sûr… Ce qui est certain, cependant, c’est que Adults in the Room met intelligemment et brillamment en évidence d’une manière qui le rend accessible à tous, certains des rouages du pouvoir que les initiés préféreraient voir rester dans l’ombre, sous le prétexte que : “comment des gens ordinaires pourraient-ils décider de questions économiques complexes?”
Qui mieux qu’un Grec et un cinéaste de la stature de Costa-Gavras pour exposer les différentes facettes de cette question de démocratie? Hossein Sadre