Du neuf pour les parcs nationaux de RDC: Olivier Mushiete nommé directeur général a.i. de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature. Mauvaise surprise pour son prédécesseur, suspendu et prié de quitter son poste. Mais excellente pour les 80 aires de conservation des formidables richesses naturelles de l’immense Congo, enfin confiées à un gestionnaire choisi pour ses compétences. Rencontre à Bruxelles.
Le nouveau patron de l’ICCN, ingénieur agronome de l’ULB, est ravi d’un challenge à sa mesure. Conscient, aussi, des risques qui l’attendent sur le terrain – et pas seulement politique…
Déjà 21 morts en quelques mois chez les Rangers des Virunga



L’autre jour encore, un des écogardes ou “rangers” du Parc National des Virunga, le sanctuaire des gorilles des montagnes, y a été abattu sans pitié par un des groupes armés qui l’infestent. Le 21ème mort d’une longue liste sanglante, qui a aussi vu l’assassinat de l’ambassadeur d’Italie. Malgré cela, Olivier Mushiete n’a aucune intention de camper derrière un bureau, il ne l’a jamais fait. Carrure de rugbyman, poignée de mains de bûcheron et sourire éclatant, à soixante et un ans, il en fait cinquante. Et ne pratique pas la langue de bois quand il fait l’état des lieux: “C’est sans doute le problème numéro un, que l’autorité de l’Etat soit ainsi battue en brèche: toutes nos 80 aires protégées sont victimes de violations du territoire. Qu’il s’agisse du petit paysan lambda qui cherche à nourrir sa famille, du Général Machin qui fait prospecter en forêt pour chercher des minerais rares ou même du Ministre Untel qui décrète l’implantation d’une université en zone protégée pour plaire à sa communauté, ils sont tous hors la loi. La loi congolaise de conservation de la nature de 2014 est excellente, elle doit être respectée.”

Presque tripler le nombre de gardiens des zones naturelles
Ce n’est pas seulement la loi qui doit être respectée, ajoute-t-il. L’humanité aussi, les hommes et les femmes qui peuplent forêts et savanes, les communautés locales avec lesquelles le nouveau directeur veut travailler à l’avenir. Après avoir pris à bras le corps les problèmes des 3800 “Rangers” employés par l’ICCN, et dont la moitié n’est pas payée, n’étant pas inscrite sur le payroll… A côté de cela, le fait que les Ecogardes ne comptent que 3% de femmes paraîtrait presque anecdotique mais Olivier Mushiete, là aussi, veut changer les choses. Ambitieux, il vise un rééquilibrage progressif en même temps qu’un rajeunissement des cadres avec un recrutement important: “L’idée, c’est de passer de 3800 Ecogardes aujourd’hui à 6000 en 2025, ce qui signifiera former 10 000 personnes dans une demi-douzaine de centres encore à créer un peu partout dans le pays. C’est un projet qui me tient vraiment à cœur, on pourrait employer tous ceux qui sont capables et ont envie de s’impliquer à fond dans le travail de conservation.”
L’argent des “puits de carbone” au secours de la biodiversité
Comment financer tout cela, alors que l’ICCN dépend à 95% de financements extérieurs? Première source avancée: l’agroforesterie, développée avec les communautés locales et qui devrait rapporter des revenus substantiels à celles-ci, en complément de l’exploitation de ressources hydroélectriques dont le Congo est riche. C’est un mix qui fonctionne déjà au parc national des Virunga, le plus ancien du Congo, que dirige Emmanuel de Merode. Une autre source serait les crédits carbone octroyés en rémunération de la création de “puits de carbone” naturels. Le nouveau patron de l’ICCN s’appuie sur l’expérience qu’il a acquise en une quinzaine d’années avec la création de 1500 hectares de forêt et de cultures vivrières en alternance sur le plateau des Bateke, l’ethnie dont il est originaire. Un projet monumental, mené à bien et qui a permis, non seulement de nourrir la population locale et de lui procurer des revenus, mais surtout de neutraliser 43700 tonnes d’équivalent carbone, “payées par la Banque Mondiale après 14 ans d’efforts”, sourit-il.
Rapatrier au pays la “première calculette de l’humanité”, l’Os d’Ishango
Et puis, la finalité de tout cela doit être de rendre accessibles les zones durablement protégées à un éco-tourisme respectueux et, au-delà, certaines merveilles du pays toujours détenues à l’étranger. Olivier Mushiete pense en particulier au retour de l’Os d’Ishango, fascinant artefact vieux de 22000 ans, strié d’annotations qui semblent en faire le premier instrument de mesure ou même de calcul de l’histoire humaine. Après sa découverte en 1950 par Jean de Heinzelin, qui l’a ramené pour étude à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Bruxelles, un deuxième os gravé a été découvert dans la même région d’Ishango, au centre du Congo: “C’est un lieu merveilleux et c’est le plus grand centre d’Ecogardes de l’ICCN. Y créer un pôle d’attraction scientifique et touristique, autour d’un de ces os gravés, serait vraiment un magnifique projet. En tout cas, un processus à mettre en route.” A Bruxelles, il a déjà évoqué cette possibilité lors d’un contact officieux.




Mais ce n’est pas une priorité, face à la protection de la nature qui est, elle, d’une nécessité criante. D’ailleurs, des projets, il en a plein la tête, sous son éternel chapeau de brousse khaki. Par exemple, le tournage d’un long-métrage documentaire sur un lac aux eaux cristallines, mais où personne ne va, car elles sont contaminées par la bilharziose… Ou encore revoir, uniformiser le statut des 80 aires naturelles protégées du pays… “y compris le jardin zoologique de Kinshasa et les autres zoos, qui devraient être revus dans un concept d’espaces naturels interactifs. Mettre des animaux en cage dans un pays comme le nôtre est une hérésie, alors qu’on pourrait les en sortir et les ramener dans leur biotope d’origine. Là, les gens pourraient les voir évoluer dans leur milieu naturel, ce qui apporterait le nécessaire supplément de ressources pour protéger la biodiversité, réellement menacée aujourd’hui. C’est vrai que la richesse de la nature, au Congo, est fabuleuse, mais elle est fragilisée par l’homme et aussi par les bouleversements bioclimatiques; tout n’est pas perdu, mais il est temps d’agir. De nos jours, on traverse la RDC en avion pour 200 €, des minitrips peuvent être organisés pour la middle class urbaine congolaise qui se développe et que la découverte de son formidable pays va fasciner….” L’aventure commence. Stève Polus
Le cri d’alarme de 234 ONG souligne l’urgence d’agir
Le site de l’Institut Congolais pour la Conservation de la nature
Félicitations , c’est passionnant , bravo .