Au plus haut niveau, la Belgique a dit ses regrets des souffrances causées au peuple congolais pendant la période coloniale. Un juriste congolais, pourtant, qualifie de “fake news” certaines des accusations portées contre Léopold II. Entre autres, celles de millions de mains coupées pour des récoltes de caoutchouc : mensonges purs et simples, dit Marcel Yabili. Depuis 2020, il a écrit quatre livres pour dénoncer ce qu’il appelle la plus grande falsification de l’Histoire. Entretien.
Marcel Yabili vit à Lubumbashi. C’est un des auteurs congolais les plus productifs, sollicité pour des conférences et des travaux académiques en droit, histoire, urbanisme, arts, etc. Ce qui le conduit à produire une moyenne de deux livres par an, dont le quart sont des livres-photos. Il a aussi créé un Musée sur les parcours de familles ordinaires qui ont vécu la vraie histoire de son pays. Mais c’est avant tout un juriste, qui exerce depuis cinquante ans. Il a connu la colonisation et tous les régimes politiques qui lui ont succédé. “Lorsqu’il est question du Congo, je sais de quoi je parle, sans naïveté ni passion”, dit-il.
Pourquoi un Congolais s’est-il lancé dans une croisade éditoriale de centaines de pages, dans laquelle il n’a pas grand-chose à gagner ? Le hasard, en réalité : son sujet, à l’origine, ce n’était pas la colonisation d’autrefois au Congo, mais celle qui est en cours aujourd’hui…
« L’histoire des mains coupées est complètement bidonnée »
Marcel Yabili : – Mon récit principal est la pénétration chinoise au Congo à laquelle j’ai déjà consacré trois ouvrages. Je me suis intéressé à Léopold II uniquement pour comparer son système d’exploitation des ressources naturelles avec un lourd bilan humain. C’est alors que j’ai constaté que son histoire était manipulée, falsifiée et relevait de “Fake News”. Le volet de l’exploitation du caoutchouc a finalement généré trois ouvrages. Chaque livre est une contribution à l’écriture nouvelle de l’histoire du Congo. Une Imposture couvre la période précédant Léopold II. Le Livre Blanc représente deux années de recherches documentaires. Au Tribunal ( à paraître) montrera ce qu’il en est du crime du caoutchouc.
– Qu’en est-il de ce crime ? Vous récusez les accusations d’Adam Hochschild, dénonçant un “holocauste du caoutchouc” de 10 millions de mains coupées ou celles de Mark Twain. Avec quels arguments ?
M.Y. : La campagne actuelle de dénigrement de l’action de Léopold II avait commencé vers 1985, avec des ouvrages comme “Du sang sur les lianes” de Van Groeneweghe et “L’État libre du Congo : Paradis perdu » de Jules Marchal. Elle a connu une croissance exponentielle dans la foulée du récent mouvement “Black lives matter”. On prend en considération des montagnes de morts. En 1880, les chiffres de la population congolaise avant la colonisation avaient été estimés par Stanley. Il avait travaillé “au pifomètre” en appliquant à l’ensemble du territoire la densité de population d’une zone très peuplée sur les rives proches du fleuve Congo, alors qu’elle est beaucoup plus faible dans l’intérieur. Il avait extrapolé une population de 42,5 millions, chiffre publié dans l’édition anglaise de son livre en 1885. Ce n’était qu’une simulation, hasardeuse. Son éditeur français, quant à lui, avait ensuite prudemment revu le chiffre à 25 millions. Et c’est sur celui-ci qu’Adam Hochschild s’est basé pour dénoncer un “génocide”, dans “Les fantômes du roi Léopold II, un holocauste oublié”… Il n’ a jamais compté ni additionné les morts ; il a opéré une soustraction. Comme on avait compté 15 millions de Congolais après 1908, c’est donc que 10 millions avaient disparu depuis 1880, CQFD ! Or, il est avéré que les trois-quarts des Congolais vivent sur le tiers de la superficie du pays. Autrement dit, deux tiers du Congo n’hébergent que le quart de la population. Lorsqu’on applique cette densité habituelle au recensement de Stanley, les 25 millions de 1880 étaient en réalité proches de 10 millions.
Les deux hommes tiennent des mains coupées, qu’ils avaient eux-mêmes découpées sur les cadavres de leurs propres frères pour prouver qu’ils étaient bien morts. Mais cette photo due à Alice Seely est utilisée pour parler de mains coupées à des vivants pour ramener du caoutchouc.
© Alice Seely Wikimedia commons
– Qu’en est-il réellement, de ces histoires de mains coupées? Quel est le fond de vérité là-dedans?
M.Y. : – Un crime reste un crime et des crimes ont bel et bien été commis, dans la province de l’Équateur en particulier. En général, il y avait eu des enquêtes, des poursuites et des sanctions. Trente mille victimes ? C’est possible. Mais on cherche à relancer avec exagération ce qui avait déjà été dénoncé et sanctionné. On ne dit pas que les compagnies Abir et l’Anversoise furent sanctionnées et nationalisées. On ne dit pas qu’aucun criminel n’y a été encouragé ou n’a été récompensé. On veut absolument parler de « génocide » et on se sert des Congolais comme de nuées de sauterelles qui auraient été décimées par dizaines de millions. Cette forme de victimisation absolue et sans comptage réel relève du racisme. Cela fleure la bonne conscience condescendante du Bon Blanc s’apitoyant sur le sort des pauvres Noirs.
L’histoire des mains coupées est complètement bidonnée. Par exemple, l’obligation pour les soldats de ramener des mains pour justifier l’usage des cartouches fut imaginée par un officier pendant une année, en 1895. Mais on en parle comme une pratique de tout temps dans tout le pays. On ne parle pas du verdict sans appel qui a été rendu par la Commission d’enquête de 1905 qui écrit noir sur blanc qu’il n’y avait pas d’amputations de mains à des vivants. On continue néanmoins à exhiber 10 photos de mains coupées ( Nb il n’ y en a pas davantage sur un siècle de propagande) et on leur colle des légendes inexactes. C’est le cas de deux parents qui avaient eux-mêmes coupé les mains de leurs frères pour en établir la mort; mais on se sert de la photo pour illustrer que l’on aurait coupé ces mains sur des vivants pour ramener davantage de caoutchouc… On ne parle pas non plus du rapport de Savorgnan de Brazza de 1905 qui reconnaît que les Français ont fait bien pire que Léopold II ! Etc.
– N’est-il pas paradoxal d’apparaître défendre la colonisation de Léopold II, alors qu’en tant que Congolais vous aviez-vous même dénoncé l’exploitation de votre peuple à l’époque?
M.Y.: – Je ne cherche pas du tout à défendre Léopold II. Je m’occupe plutôt du Congo qui a des besoins de vérité pour se reconstruire. Par exemple, les Congolais sont actuellement fragilisés par le Rwanda, mais ils ne jurent que par les frontières héritées de Léopold II. C’est pour cela que ma série de livres met en médaillon Léopold II et Lumumba. L’un avait créé les frontières dont l’autre symbolise l’intégrité. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ni Lumumba ni aucun autre personnage historique congolais n’a critiqué Léopold II, alors que leurs parents avaient vécu des évènements douloureux qu’ils ne pouvaient ignorer. La même génération des pères de l’indépendance congolaise a plébiscité le « travail forcé » de Léopold II et en a fait la devise du pays. Je ne défends rien ; je rapporte ce que tout le monde peut constater.
Les livres de Marcel Yabili démontent des accusations actuelles encore basées sur la campagne anti-léopoldienne anglaise de 1900, illustrée par cette caricature.
– Votre récit souligne que Léopold II, souvent présenté aujourd’hui comme assoiffé de richesse personnelle, a avant tout créé un État indépendant et séparé son domaine public du domaine réservé de sa Couronne. Sans confondre, apparemment, sa cassette personnelle et les caisses de l’E.I.C. Vous écrivez, d’après le Bulletin officiel de l’E.I.C., que le budget des recettes de l’État a augmenté de 5395 % en 18 ans, soit une moyenne de 200% par an, il y a de quoi rêver. Et le Roi n’y aurait pas touché? N’est-ce pas un peu naïf ?
M.Y. : – Il y a un folklore macabre autour de Léopold II. Ce phénomène est directement inspiré par la campagne anglo-saxonne anti-léopoldienne des années 1900, encore qu’elle n’avait pas réussi à déboulonner Léopold II à l’époque. On pouvait caricaturer la voracité royale dans l’ignorance de la comptabilité du Congo. Mais on ne peut plus le faire parce que les finances du Congo ont été dévoilées lors de la cession du pays à la Belgique en 1908. Des documents très détaillés montrent que toute la richesse du caoutchouc allait à l’État du Congo et non à Léopold II. Même les participations dans les entreprises avaient été acquises au nom de l’État et pas de Léopold II. Et après la colonisation, ces entreprises ont été remises à la République Démocratique du Congo. Plus clairement, il est établi que le Congo avait été au bord de la faillite puis était devenu autosuffisant sur le plan financier, année après année, grâce aux impôts des populations et aux revenus du portefeuille des entreprises. Bref, la voracité caricaturale de Léopold II a été bénéfique pour la construction du Congo. C’est ce qui importe.
“Les problèmes du Congo viennent moins de la période coloniale que de la période de l’indépendance”.
– Vous dites que les attaques contre Léopold II n’ont en réalité que très peu d’écho en RDC et ne seraient que le fait de “Belges qui n’aiment pas la Belgique”. Vous l’expliquez comment ?
M.Y. : – Les Congolais du Congo ont déjà fait le deuil de la colonisation. Ces histoires anciennes n’intéressent pas les gens. Nos préoccupations vont à la protection, à la sécurité et au bien-être. Mais il y a un lobbying agressif de Belges qui viennent ici pour éveiller et exploiter des traumatismes coloniaux. À Lubumbashi, un buste de Léopold II avait été inauguré en présence du président Kabila, mais ce sont des Belges qui l’ont fait enlever. Pendant ce temps, à Kinshasa, la grande avenue du bureau du Premier ministre porte le nom de Roi Baudouin 1er… Il y a une année, lors de la visite royale belge au Congo, on pouvait entendre des gens demander le « retour des Belges ». Ce n’est pas qu’il y aurait une nostalgie de la colonisation, mais seulement que cette période a été incorporée à l’Histoire du pays ; une histoire qui se poursuit. Le Congo n’a pas demandé le déboulonnage des statues coloniales en Belgique. Les choix et les raisons belges sont étonnants et parfois vexatoires. Je pense et je dis que le processus belge de décolonisation de l’Histoire est souvent une insulte néocolonialiste. Le cas flagrant est le musée de Tervuren qui a installé l’esclavagiste Lusinga comme la victime emblématique de la colonisation parce qu’on l’avait empêché de bâtir un empire avec les revenus de la vente d’esclaves congolais… Cela est insultant…
– En résumé, pour vous, on en fait trop en Belgique ?
M.Y. : – Il y a beaucoup de naïveté. La colonisation appartient au passé. C’était essentiellement une entreprise économique. Son volet politique est devenu un crime international en 1945 après la proclamation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ainsi, pour les Belges, la véritable colonisation coupable n’aura duré que 15 années, de 1945 à 1960. Mais les Belges se permettent d’ignorer qu’ils ont été les seuls à avoir rendu l’indépendance sans guerre de libération. Ils refusent de voir que les problèmes du Congo viennent moins de la période coloniale que de la période de l’indépendance. Celle-ci pèse tout de même 63 années ! L’anticolonialisme belge est dépassé : il n’est pas utile. En effet, actuellement, le monde entier vient toujours en Afrique pour une colonisation économique, à savoir l’exploitation de ses ressources naturelles et de sa main-d’œuvre bon marché. Ce qui est nouveau, c’est le rejet de l’assujettissement politique, du racisme… Les mêmes besoins de mise en valeur et de protection des populations ou de l’environnement demeurent.
Par ailleurs, on présente la colonisation comme un phénomène complètement abject dans son entier, alors qu’elle avait des aspects légitimes qui relèvent de l’évolution de l’humanité, par exemple en matière d’éducation, de santé, d’impôt, de justice… Le crime reproché à Léopold II est d’avoir imaginé un impôt en nature, en caoutchouc. En réalité, les populations étaient payées pour collecter des produits et les ventes alimentaient directement les caisses de l’État. En matière de justice, Léopold II avait écarté la sanction corporelle de la chicotte. Toutes les illustrations populaires montrent une chicotte administrée uniquement dans les prisons.
– A-t-on une idée du nombre de morts violentes en RDC depuis l’indépendance de 1960, par rapport aux pertes humaines antérieures supposées ?
M.Y. : – Léopold II fut attaqué pour n’avoir pas suffisamment protégé les populations. Les autorités congolaises ont également des responsabilités dont elles doivent répondre.
– La nouvelle colonisation chinoise, on en parle peu alors qu’elle est évidente. Qu’en est-il ?
M.Y.: – L’Afrique continue à réclamer une sorte de nouvelle colonisation économique et appelle à des investissements pour exploiter ses ressources et ses populations. On parle de développement et de création d’emplois… Pendant ce temps, il y a une mode pour culpabiliser l’Européen et victimiser l’Africain. Cela permet d’évaluer la prétendue voracité de Léopold II ! Négociateur redoutable, il avait obtenu des participations pour l’État (jusqu’à 50%) et des retombées sur l’économie. Finalement, les mines de cuivre versaient jusqu’à 65% de leurs revenus à l’État. Moins de folklore macabre autour de Léopold II aiderait actuellement à éveiller les consciences et les exigences des Congolais face aux Chinois et aux autres… Car l’État congolais ne réclame plus que 5 à 10% de capital minier… Voilà comment les prédateurs économiques sont des alliés objectifs du déboulonnage de Léopold II ! Finalement, derrière le bruit de fond d’une Histoire maquillée, les affaires continuent, mais moins pour les Belges qui ne sont plus que 2700 au Congo. La Belgique se détourne malheureusement du Congo à cause de crimes et scandales faux ou exagérés ou déjà réparés et qui n’intéressent guère ici…
La chicotte, administrée dans une mine chinoise en 2019.
Propos recueillis par Stève Polus
Diffusés sur Amazon, les ouvrages de Marcel Yabili sont jusqu’ici accueillis par des commentaires positifs, mais ignorés par les grands médias. Aux lecteurs de juger. Et comme le dit lui-même l’auteur, le sujet reste vaste…
Bonjour
Merci de remettre la vérité
J’ai entendu que marcel Yabili viendrait faire une conférence en Belgique a la mi Septembre
pouvez vous m’envoyer les renseignements ?
Merci d’avance
jacqueline
Chère Mme Frenay, merci de votre intérêt. Notre association espère pouvoir organiser une rencontre-débat au cours d’un dîner avec Marcel Yabili dans la semaine du 23 octobre prochain.Si vous le désirez, nous vous communiquerons la date exacte, le lieu et les conditions le plus rapidement possible. Bien cordialement, S. Polus, Président ARPNS
Bonjour,
Les ouvrages de Me Yabili sont très intéressants et tranchent avec ce que l’on a l’habitude d’entendre.
La conférence d’octobre prochain sera-t-elle filmée et publiée sur Youtube ou une autre plateforme ?
Avec mes salutations respectueuses,
Julien
Bonjour,
J’aimerai visiter le musée de Mr Marcel Yabili à Lubumbashi, pourriez-vous me donner l’adresse s’il vous plait ?
Par ailleurs j’aimerai le contacter personnellement pour des recherches.
Je suis actuellement bénévoles aux Archives Générales du Royaume à Bruxelles.
Pouvez-vous lui communiquer mon adresse mail ?
Mes salutations